L’alternative Jaurès, redonner sens, éthique et vision au politique !

Nous traversons un temps de crises majeures. Des crises qui concernent notre pays, qui affectent chacun de nous, qui maillent le monde et notre quotidien dans une trame inextricablement reliée. Ces crises mettent à mal nos modèles et nos récits.

Elle génèrent des anxiétés individuelles et collectives exaspérées par le sentiment d’impuissance et de fatalité. Elles sont chauffées à blanc par les chaines d’info, par les réseaux sociaux et la saturation des informations qui nous capturent dans un présent sans issue.

Les instances politiques, qui devraient répondre à cette flambée d’inquiétude et d’angoisse par des propositions à la mesure des défis du temps semblent tétanisées.

Leurs capacités de réaction et d’innovation semblent grippées par un imaginaire conservateur et impuissant, enchaîné à un modèle économique et techno-bureaucratique qui inhibe les possibilité de création et de résilience.

Elles proposent les mêmes solutions conjoncturelles « sparadrap » calées sur les mêmes réflexes fiscaux, assortis de micro-mesures palliatives de pouvoir d’achat catégorielles et un vernis écologique pour être dans l’esprit du temps.

Leur souci semble de vouloir remédier à tous prix à la surchauffe du moteur capitaliste néo-libéral dont chacun sait qu’il est désormais obsolète, polluant et destructeur. Alors qu’il faudrait travailler d’urgence à sa transformation, se mobiliser pour inventer d’autres modèles transitionnels, ils persistent dogmatiquement à le maintenir par des dispositifs complexes et coûteux de lubrification et de consolidation.

Ce faisant non seulement ils démontrent leur incapacité à se renouveler à la mesure des défis contemporains, à la mesure des enjeux de survie de notre espèce et de la planète, mais ils créent de la suspicion, du soupçon, de la défiance radicale. Tout cela ajoute à l’inquiétude générale.

Cette paralysie du politique – avec la déception et la démobilisation qu’elle provoque, voire la colère qu’elle suscite – offre à tous les extrémistes et aux illusionnistes du sens, des opportunités exceptionnelles d’audience et de crédit.

Cette impuissance du politique nous met en danger. Elle active en mode panique l’instinct de survie et les ferments complotistes de la peur et de l’anomie.

L’autre Jaurès

Sans prétendre apporter de réponse, il nous semble qu’il y a des pistes, des gisements de sens, des filons de propositions pour répondre aux crises de notre temps dans l’oeuvre et l’esprit de Jean Jaurès.

Pas dans le Jaurès convenu, momifié par les institutions, pas le Jaurès traditionnel, enfermé dans l’icône d’un ouvriérisme du passé, dont la nostalgie n’opère plus pour les jeunes générations et dont on escamote, souvent par ignorance où préjugé, la portée du souffle et de la vision.

Nous parlons de l’autre Jaurès. Celui qui flamboie dans tous ses textes – pour peu que nous prenions la peine de les lire avec les yeux et le coeur ouverts.

Ce flamboiement n’est pas du lyrisme comme se plaisent par paresse à le penser certains.

C’est la dimension expérientielle et sensorielle d’une relation au monde vivant, au cosmos et à l’infini que Jaurès éprouvait depuis sa jeunesse.

Il posa la trame argumentaire définitive de son expérience dans sa thèse de doctorat qu’il mit ensuite en acte à travers son engagement multiforme pour la transformation du monde.

Car l’expérience spirituelle de Jean Jaurès ne se limitait pas à une épiphanie intellectuelle. La matière même de sa thèse – la réalité du monde sensible – s’éloignait autant de l’intellectualisme, que de l’idéalisme et du matérialisme.

Elle démontrait non seulement que le monde était bien réel, que notre sensorialité avait prise direct sur lui, mais elle postulait que cette réalité que nous éprouvons très concrètement, est, dans sa tessiture même, constituée de conscience, d’infini, de joie et de beauté.

Plus loin encore, elle mettait à jour le fait que notre histoire humaine – élargie à une perspective cosmique – avait un sens : celui de l’assomption, à travers une lente « montée en humanité » par les méandres de l’histoire – du joyau universel de la justice et du droit.

Le combat de Jaurès s’enracinait dans cette perspective historique et cosmique qu’il mettait en acte au quotidien, dans ses discours, mais également dans l’engagement au plus près des luttes ouvrières et paysannes. Il éprouvait déjà l’intuition – qu’il formula dans sa thèse – de l’avènement d’une noosphère qui relierait les consciences et unifierai l’humanité autour d’un destin commun. C’est tout son engagement pathétique et prophétique à l’international lorsqu’il tente de mobiliser les syndicats et les socialistes du du monde contre la guerre 14-18.

C’est le lien qu’il fait constamment entre le terrain et l’action, les luttes concrètes depuis les mines du Tarn aux tribunes de la Chambre des députés à Paris, des expérimentations coopératives qu’il accompagne et inspire à Albi et Carmaux aux discours de Buenos-Aires.

Partout il s’agit de semer des soleils possibles, d’ensemencer les esprits de cette dimension d’infini et de beauté qui a pris corps en humanité à travers l’aspiration à l’émancipation et à la justice.

La vision de Jaurès redonne du souffle et du sens au politique, à l’engagement, à la démocratie, en les enracinant dans notre ontologie profonde : l’infini qui nous fonde. Non comme pas comme un horizon à contempler en esthète passif, ni comme une théophanie religieuse, mais comme un défi à relever en humanité de tous les instants.

Les enjeux humains, sociaux économiques, écologiques qui nous pressent sont titanesques. La politique se doit de se hisser à leur mesure. Elle se doit d’oser une politique en humanité, voire une cosmopolitique dirait notre ami jaurésien Camille Grousselas.

La France, qui fut pionnière en défiant les absolutismes de l’ancien régime et en osant affirmer les droits humains pour toute l’humanité, a sans doute un rôle unique à jouer pour les temps à venir.

Comment ? En découvrant d’abord mieux Jaurès. Il nous sera alors naturel, car c’est tout le sens de sa philosophie – de passer des idées à l’action !

Hassan Aslafy, le 20/11/2021


« Rallumer tous les soleils ! » 
Jean Jaurès, 1891

Jean Jaurès est connu, reconnu, célébré, presque enseveli sous les hommages – qu’ils soient officiels ou militants – pour son engagement politique, social et humaniste d’exception.

Pourtant, une partie fondamentale de sa personnalité est restée méconnue : c’est la dimension philosophique, métaphysique et poétique de son expérience et de son inspiration.

C’était, selon ses propres dires et ses propres textes – le socle sur lequel reposait son engagement politique et social.

Car Jean Jaurès était un visionnaire -ancré dans la tourbe du réel certes, dans le combat militant le plus engagé, jusqu’à le payer de sa personne – mais il n’était pas qu’un homme de pensée et d’action, comme on aime à le dire, pour mieux le réduire à notre portée.

Il était bien plus que cela, c’était un visionnaire à longue portée qui avait pour horizon notre humanité dans sa relation à l’infini et à son lent accomplissement à travers les méandres de l’histoire.

Il eut très jeune de remarquables intuitions qu’il consolida rapidement avec un appareil philosophique considérable – contemporain, classique, antique- mais également métaphysique. Sans oublier – bien que pour certains cela soit encore difficilement audible – un riche dialogue intime avec l’héritage chrétien et hébraïque, avec Plotin et les néoplatoniciens et jusqu’aux Upanishad de l’Inde qui lui donnèrent l’envie d’étudier le sanscrit !

L’intelligence exceptionnelle de la laïcité qui animait Jaurès l’éloignait certainement et sans ambiguïtés des appareils religieux. Il fut anticlérical, mais fin lecteur de la bible. Sa démarche n’excluait en rien des réflexions approfondies sur des questions métaphysiques et spirituelles qu’il aborda avec une telle profondeur qu’elles restent pertinentes d’actualité.

C’est ainsi que se refusant au carcan matérialiste et dogmatique du marxisme autant qu’à celui du positivisme de son temps, il n’est pas incommodé, dans son étude sur les origines du socialisme, d’en rechercher les sources chez Luther et les évolutions historiques des infrastructures chrétiennes européennes.

Cette ouverture d’esprit le conduisit, par delà les préjugés et les conventions de son temps à se poser – dans une intégrité exemplaire de valeurs et d’engagement – comme l’homme de l’ouverture, de l’unité dans la diversité, de la reconnaissance de l’autre.

Il ne s’agissait pas de la générosité d’un tempérament mais bien de l’aboutissement d’une maturation philosophique dont il a posé les termes précis dans sa thèse de doctorat.

En lisant cette dernière, on réalise à quel point elle témoigne, au-delà du cadre conceptuel et formel, d’une dimension expérientielle profondément enracinée dans sa vie. Celle-ci irriguait en continu ses propos, ses articles, ses discours, ses idées mais aussi ses critiques d’art.

Contrairement à ce que d’aucuns considèrent parfois comme une disposition lyrique et poétique « méridionale », c’est une vision métaphysique qui acte et célèbre l’unité du vivant, du cosmos et de l’humanité qu’il s’attacha à incarner au coeur de ses combats et de sa vie, dans un continuum d’inspiration qu’il savait communiquer même aux plus humbles.

Sa compréhension du socialisme ne se bornait pas au terrain des luttes de sociales, à l’effort d’unification des acteurs progressistes de son temps, à l’appel continue à la paix et aux actions pionnières qui ont jalonné son existence. Sa vision englobait tout cela mais il voyait plus loin et surtout plus profond.

Malheureusement nombre des admirateurs et spécialistes de Jean Jaurès, par « frilosité laïque », par « habitus universitaire », ou par la spécialisation légitime de leur discipline, méconnaissent cette dimension, parfois la minimise, voire la considère comme secondaire.

Ce faisant, non seulement ils tronquent la connaissance d’une dimension essentielle du message de Jaurès pour notre temps, mais ils contribuent à promouvoir une image réductrice, voir passéiste qui le confine à n’être plus qu’une icone publique du tourniquet annuel des commémorations officielles.

Si nous avons plus que jamais besoin de Jaurès aujourd’hui, c’est bien de celui qui posa les bases d’une vision complexe et unitive de la réalité qui, à présent plus qu’hier, est d’une pertinence exceptionnelle.

C’est celui qui s’attacha à concilier la réalité du monde sensible – du réel, de la biosphère, du vivant- avec la présence et le souffle discret de l’infini dans l’homme et la nature.

Chez Jaurès, cet infini et le monde sensible brassent ensemble le limon de l’histoire et convergent – par l’émancipation, l’éducation, la dignité, les droits humains et l’expansion de la conscience- vers la pleine assomption de notre humanité encore à venir.

A l’heure ou le politique semble frappé de discrédit, où le socle démocratique de nos sociétés vacille, où les crises multiples grippent les mobilisations et brouillent les intelligences, il nous semble primordial de mettre à jour les ressorts philosophiques et spirituels qui inspiraient Jaurès.

Nous sommes persuadés que cette dimension de vision et de sens est précisément ce dont nous éprouvons le besoin vital aujourd’hui, non seulement pour revivifier le politique et l’engagement social, mais pour inventer, dans une dynamique plurielle, créatrice, enthousiasmante, proche de ce que Edgar Morin évoque en appelant à une nouvelle politique d’humanité.

L’objectif de ce site est, en s’appuyant sur les textes de Jean Jaurès comme sur les travaux de nombreux amis, chercheurs, lecteurs, militants, de mettre à jour cette exceptionnelle dimension de Jaurès – d’en partager avec tous et passionnément, la connaissance et l’actualité.

Hassan Aslafy,
Graulhet, Sept. 2021

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