L’année commence bien ! Nous devons à Jòrdi Blanc, auteur d’une thèse de doctorat sur Jaurès philosophe (1996) et éditeur de ses Œuvres philosophiques aux éditions Vent Terral, la publication du « Dieu de Jaurès ».

Il s’agit enfin d’une présentation claire et systématique du corpus métaphysique et spirituel de Jean Jaurès !

Jordi Blanc a judicieusement et méthodiquement rassemblé les grandes lignes conceptuelles argumentée dans la thèse « De la réalité du monde sensible ». Autour de cet ensemble prennent naturellement sens les fulgurances qui émaillent les discours et les articles de Jaurès, les pistes ouvertes dans ses cours de philosophie, mais aussi ses nombreux textes où il évoque la question centrale et fondatrice de Dieu, du spirituel, de l’infini… Le livre rassemble d’un seul tenant éclairant et inspirant la cohérence systémique de la métaphysique jaurésienne !

Nos temps sont étonnants ! A la faveur des changements et des crises contemporaines, les lignes de fractures tectoniques se multiplient dans tous les savoirs conventionnels. Elles ouvrent de nouveaux champs inattendus à nos perplexités.

Je pense au vivant, au genre, à l’histoire connectée, à toutes les révolutions anthropologiques qui brouillent la boussole de nos acquis.

Parallèlement à ce sabordage de nos certitudes, les glaces des grands appareils dogmatiques et idéologiques continuent de fondre, révélant, à nos grands étonnements, des figures que nous avions réduites et figées dans le glacis des préjugés du temps et du sens commun.

Jaurès, le vrai Jaurès reparait enfin à l’occasion de ces fontes salutaires.

Celui dont on avait figé le portrait dans la sacralité tutélaire du grand laïc républicain, dont le buste brillait sous les ors de l’Elysée mitterrandien, dans le marbre glacé et convenu du marxo-socialisme bien pensant mais révolutionnairement impotent, ce Jaurès transformé en relique politique, finissait par s’estomper inexorablement dans l’ombre sépulcrale de l’histoire.

Mais il reparaît là où on ne l’attendait pas !

Jean Jaurès reparait dans la fraîcheur et la vigueur d’une pensée terrienne infusée d’infini, aux éclats philosophiques et spirituels visionnaires, aux ressorts politiques innervés dans la pulsion émancipatrice du vivant. Car Jaurès nous a légué, subrepticement, dans les plis cachés de son histoire et de sa vie, le joyau expérientiel et prophétique de sa pensée.

Engrammé dans sa thèse, incarné dans sa vie, étoilant de lumière ses discours et ses articles, ce joyau est resté invisible, apparaissant parfois à certains comme le noyau d’un archaïsme spiritualiste lointain et suranné.

Certains l’avaient deviné, pressenti, annoncé. Je pense, entre autres, à Léon Blum, à Henri Guillemin, à Camille Grousselas, Bruno Antonini, Eric Vinson et Sophie Viguier-Vinson….

Mais comment mettre à jour ce joyau métaphysique dont les éclats opalescents imposent une acclimatation philosophique aux diffractions multiples – grecs, hébraïques, bibliques, hindous (Jaurès s’acharnait à étudier le sanscrit…! ).

Philosophie jauressienne déroutante constituée de limons rares, d’éclats de sens cosmologiques mêlés aux copeaux de dignité recueillis dans la nuit des humbles et des opprimés. Pensée vivante, embrasée de soleil, transmise par une écriture terrienne vitalisée par les méditations nocturnes et solitaires dans la campagne tarnaise de sa maison de Bessoulet.

Jordi Blanc, non seulement l’a deviné, pressenti, mais il en a fait le cœur d’un engagement passionné et l’objet d’une étude approfondie, en prenant le risque de s’exposer aux jugements et aux préjugés des gardiens du temple jaurésien.

Il s’est attaché à remonter le fleuve de la pensée jaurésienne, à étudier le contexte, les enjeux philosophiques et métaphysiques de son temps, ses Maîtres et ses amis. Il a fallu distinguer les sources et les sinueux affluents jusqu’à plonger dans la kabbale juive, dans les épitres de Paul, dans les lumières leibniziennes, spinozistes, en passant par Malebranche et les Upanishad de l’Inde. Il fallait également remettre à jour l’influence et les œuvres scandaleusement méconnues des grands spiritualistes français contemporains de Jaurès que furent Felix Ravaison, Jules Lachelier, Emile Boutroux…

L’expérience « spirituelle » singulière de Jaurès s’est formulée philosophiquement en déployant son arbre métaphysique et cosmologique sur ce riche terreau nourricier que Jordi Blanc a magistralement mis à jour.

On comprend mieux alors l’inédit de la spiritualité jauressienne, son éclat prophétique, l’ampleur de son élévation autant que son enracinement dans la chair et les peines du monde. On saisit mieux son dialogue profond avec le christianisme paulinien.

On comprend mieux la difficulté qu’ont pu avoir des historiens du champs socio-politique pour appréhender la profondeur et l’amplitude métaphysique et spirituelle de Jaurès.

En mettant à jour le socle de la philosophie spirituelle et cosmologique jaurésienne dans une présentation systématique et clarifiée, Jordi Blanc permet l’avènement et l’appropriation du Jaurès qu’appellent les grandes crises de notre temps.

Il n’est pas exclu que depuis sa table de Bessoulet, considérant le ciel étoilé avec lequel il entretenait un dialogue familier, Jaurès, souriant, ait pu être traversé, en ces temps où l’orage de la grande guerre s’annonçait, au temps où son assassinat se pressentait, par l’idée fugace, qu’un jour son temps viendrait…

Le temps est-il venu ?

Merci Jordi Blanc de nous permettre de le penser !
Et de nous ouvrir ainsi l’accès à ce Grand Jaurès, occitan et universel, poète et tribun de l’infini incarné dans le souffle du présent, dont le Dieu à la fois transcendant mais intimement mêlé au monde sensible, est consubstantiel à nos luttes et à notre émancipation par la Justice, la Liberté et la Démocratie.
L’horizon est ouvert, allons-y !

Pour acheter le livre que nous recommandons vivement !
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Hassan Aslafy, Graulhet, le 9 Janvier 2022